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    Causerie. Lyon, 17 mai.

    Le vieux répertoire lyrique vient d'obtenir à l'Opéra un renouveau de succès. Les abonnés d'âge mûr, demeurés fidèles au culte un peu démodé de Meyerbeer, ont pu, en effet, revivre la semaine passée, leurs émotions d'autrefois, en applaudissant le Prophète et son interprète si splendidement douée, Mlle Delna.

    Nous avons fait du chemin en musique depuis 1849, date lointaine, époque rococo, dont il semble que nous soyons plus éloignés que du siècle passé, puisque Gluck et Mozart ont un regain de faveur, alors que les musiciens d'il y a cinquante ans ne rencontrent plus guère qu'un mépris dédaigneux! A ce moment-là, Meyerbeer passait pour un révolutionnaire. L'art italien, — qui depuis, mais alors ! — était en pleine vogue, et les efforts de l'auteur de l'Africaine, pour accroître le rôle de l'orchestre et de la trame symphonique, en même temps que la sincérité de l'expression dramatique, appartenaient à la « musique de l'avenir. »

    Que les temps sont changés! Meyerbeer est aujourd'hui un dieu déchu. La place au sommet est prise par Wagner. Et ce n'est pas une des moindres évolutions de ce siècle, qui en vit pourtant de si prodigieuses...

    Les mélomanes antiques qui entendirent dans le Prophète les interprètes de la création, le ténor Roger et Pauline Viardot, abondent en récits enthousiastes, lorsqu'ils trouvent, de nos jours, l'occasion de placer leurs impressions.

    La scène de la cathédrale, si poignante et d'une inspiration si haute, est encore vivante dans leur mémoire. Ils racontent volontiers que Roger, étendant les mains sur la tête de Mlle Viardot en un geste dominateur, gardait cependant dans ses yeux une tendresse infinie, tandis que Fidès, secouée d'abord par un mouvement de révolte, se laissait fléchir peu à peu par le regard de son fils et, lentement, tombait à ses pieds, sanglotante et domptée. Ce jeu de scène, — qui est devenu une tradition, - improvisé par ces deux grands artistes, reste à juste titre, pour les vieux messieurs de l'orchestre, un des beaux souvenirs de l'art lyrique.

    Delna, la petite Delna, — qui était, il y a quelques années, une enfant insoucieuse et folle, élevée à la diable dans l'auberge de ses parents, découverte un beau jour, par un amateur avisé, grâce à sa voix profonde, qui chantait d'elle-même en s'ignorant,—vient de remporter, dans ce même rôle de Fidès, un triomphe tel que l'Opéra, solennel et blasé, en vit bien rarement.

    Les chroniqueurs et le public ont été pris jusqu'au frisson par l'organe aux larges accents et par la conviction si sincère, d'un réalisme vivant et sobre, qui mettent cette toute jeune cantatrice au premier rang.

    Je ne sais si la créatrice de Fidès, assistait à la reprise du Prophète. Car elle n'est pas morte la grande Pauline. Elle vit, retirée et digne, en son logis du boulevard Saint-Germain, parmi les bibelots témoins des gloires anciennes, entourée de quelques amis fidèles qui se souviennent des soirées radieuses que prodigua son génie. Si la Fidès d'antan a vu son émule d'aujourd'hui, elle l'a applaudie sans doute, — hommage mélancolique d'un passé consacré et qui s'en va, à l'essor d'un jeune avenir qui s'épanouit superbe...

    Mais quelle tristesse il doit y avoir dans les dernières années des reines douairières du théâtre ! La vieillesse, certes, est cruelle à tous. Combien davantage cependant, à celles qui ont constamment vécu pour le public et que le public ne connaît plus ! Il faut une grande force d'âme, à ces triomphatrices déchues, pour vieillir avec correction, parmi les palmes fanées qui jamais plus ne reverdiront, sous le poids d'un morne présent, si dissemblable des apothéoses abolies. C'est pourquoi Mme Pauline Viardot mérite doublement le respect, et pour son génie d'hier, et pour sa vieillesse d'aujourd'hui dont elle a su faire comme une parure...

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